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Adieu Sauvage

Le réalisateur Sergio Guataquira Sarmiento retourne en Colombie pour réaliser un film sur une épidémie de suicides dans les communautés amérindiennes. C’est l’occasion pour lui de renouer avec ses racines oubliées.

On connaît les risques de l’exil : en quittant son pays, on se condamne à ne plus adhérer ni à sa culture d’origine, ni à sa terre d’accueil, à vivre éternellement dans un entre-deux. Sergio Guataquira Sarmiento réinvestit la question en la liant à un exil statique et intérieur : les peuples indigènes de Colombie, comme ceux des autres pays d’Amérique du Sud, n’ont pas eu à quitter leur contrée pour vivre cette expérience douloureuse, seulement à se voir encercler par une civilisation qui a exploité leurs ressources et créé autour d’eux un nouvel ailleurs.

Dans la jungle du Vaupés, Sergio, venu de Belgique où il vit depuis des années, rencontre Laureano, membre du peuple cacua qui parle aussi l’espagnol et se propose de l’accueillir dans son village. Paradoxe : son nom à consonance indigène avait valu à Sergio les brimades de ses camarades de classe, mais ici, il est vu comme un Blanc.Auprès de ces familles vivant de façon autosuffisante, sa présence est superfétatoire. Tout au plus peut-il apporter à ses hôtes un mot absent de leur vocabulaire : « nostalgie ». Ce sentiment doux-amer présent d’emblée dans les mots de Sergio, pleins d’autodérision, comme dans les délicates nuances de gris de la photographie, finit par étreindre le film tout entier. Mais avant de repartir pour son exil éternel, Sergio aura au moins pu échanger avec Laureano comme on ne le fait qu’avec un ami, en observant la cime des arbres depuis une montagne, avant que les contours de ce paysage immémorial soient engloutis par le soleil couchant.
(Olivia Cooper-Hadjian, Cinéma du réel 2023)

L'avis de la bibliothécaire

Alexia Vanhée, BNF, Paris
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

Dans ce titre d’une limpidité trompeuse, quel est le "sauvage" à qui l’on dit adieu ? Est-ce Laureano, l’autochtone qui devient le confident et ami du réalisateur, et qu’il ne reverra peut-être pas ? Le concept même de "sauvage", forgé par les préjugés racistes occidentaux, insupportable aujourd’hui ? Ou encore la part autochtone du réalisateur qu’il a d’abord rejetée avant de chercher, à travers ce film, à se réapproprier ?

Dans ce voyage initiatique intime, l’humilité et la sensibilité de Sergio Guataquira Sarmiento font merveille. Son choix d’un noir et blanc intemporel évoque un retour aux premiers contacts anthropologiques entre Européens et Autochtones autant qu’il exprime une pudeur et, peut-être, une distance impossible à combler tout à fait. Intelligent, émouvant, le film pose une question insoluble : que peut-on vraiment espérer retrouver de ses racines quand celles-ci ont été coupées ?

+ d'infos

Lire le dossier de presse du film contenant une interview avec le réalisateur Sergio Guataquira Sarmiento

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