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Joyeux Noël, Yiwu

Joyeux Noël, Yiwu

Merry Christmas, Yiwu

Yiwu est une ville de plus d'un million d'habitants située à 300 kilomètres de Shanghai. Dès le mois d’octobre, les usines de la ville travaillent à la confection des décorations de Noël, qui seront expédiées par conteneurs entiers sur les marchés occidentaux. Derrière la féérie du strass de Noël, le système du 966 impose comme ailleurs en Chine, de très longues journées de travail de 9h, 6 jours sur 6.

En 1972, Michelangelo Antonioni est sans doute le dernier cinéaste européen à filmer un pays encore très fermé (Chung Kuo, Cina), avant que le gouvernement ne décrète en 1978 l'ère du “socialisme à la chinoise”. Depuis que “s'enrichir est glorieux”, cinéastes et photographes occidentaux sont nombreux à admirer avec terreur et fascination les paysages manufacturés chinois. La transformation accélérée de “l’atelier du monde”, l’expression date aussi des années 70, concentre les ouvriers dans des usines toujours plus grandes, dépendant d’infrastructures toujours plus gigantesques.

Le film du cinéaste serbe aborde la question du travail non pas dans les grandes villes manufacturières, mais dans les ateliers d’une ville moyenne à l’échelle chinoise, spécialisée dans une production entièrement tournée vers l’exportation. Une manière de ne pas opposer consommateurs et producteurs, de souligner la porosité d’un marché toujours plus mondialisé. Ainsi en Occident Noël est férié, c’est un moment chômé en famille. En Chine, ouvrières et ouvriers s’activent dans de modestes ateliers, pour livrer à temps les décorations qui illumineront les foyers des premiers.

Si les gestes sont au cœur du projet du film, les conversations adressent des questions universelles portées par la jeunesse ouvrière. Quel bonheur espérer ? Quelle “gloire” attendre ? À Yiwu, le capitalisme est à visage humain. Le “Boss” et son directeur ne sont pas de grands patrons inaccessibles. La prospérité de la famille, au sens de la société toute entière, est une injonction cardinale à laquelle chaque Chinois doit se plier, sans jamais rechigner. Pourtant, une forme de mélancolie surprend finalement le spectateur à l’écoute des espoirs discrètement exprimés, au détour d’une conversation ou d’une chanson romantique.

L'avis du bibliothécaire

Julien Farenc, Bibliothèque publique d'information, Paris
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

Yiwu est une ville moyenne située à 300 km au sud de Shanghai. Dès le mois d’octobre, les usines de la ville travaillent à la confection des décorations de Noël, qui seront expédiées par conteneurs entiers sur les marchés occidentaux. L’atelier du monde a longtemps été filmé sous le prisme fasciné du gigantisme. Le cinéaste serbe s’intéresse plutôt au travail à la main, autant pour les gestes et le savoir-faire, que pour appréhender le rôle cardinal joué par le travail dans la société chinoise.

Nous comprenons ainsi grâce aux conversations des travailleurs, à quel point le marché éparpille les familles, sépare les jeunes des vieux, isole le village natal des métropoles industrieuses. Tous se plient aux injonctions supérieures de la famille et de la prospérité commune, incarnée par le “boss” et son directeur. Malgré un certain confort matériel et derrière l’apparente sérénité de leurs vies sans histoires, les jeunes ouvriers chinois expriment discrètement leur profonde mélancolie : “Je le ferai pour toi, je disparaîtrai avec toi, tant que tu m’aimes en retour”.

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