les yeux doc

Mangrove school © Spectre Productions

Mangrove school

Nous étions parties pour étudier les conditions de vie des élèves dans les écoles de la résistance, situées dans les mangroves. Nous nous sommes bien vite retrouvées en position d’apprenantes – et la première leçon a été de réapprendre à marcher. Dans les écoles de brousse, c’est le corps entier qui est mobilisé lors de l’apprentissage.

Une main fantomatique sort de l’eau pour s’agripper à une branche. Une branche amie qui sait offrir refuge en terre basse. Pendant la lutte anticoloniale contre l’occupation portugaise, les écoles libres de Guinée Bissau devaient régulièrement changer de lieux pour éviter les bombardements. Les écoles se sont alors enfoncées dans la jungle et ont trouvé les mangroves. Un système végétal qui semble avoir poussé et s’être développé précisément pour accueillir et protéger les écoles des bombes et de l’enseignement imposé par les colons. C’est comme si cet écosystème, difficile d’accès, invitait à la lutte.

Comme les montagnes, les maquis, les jungles pour les guérillas, en Guinée-Bissau la nature fait alliance. Filipa César et Sonia Vaz Borges les filment comme des infrastructures à l’architecture en réseau. Elles y replacent des jeunes corps apprenants à qui l’on transmet l’héritage de la lutte anticoloniale et de cet environnement. Les cinéastes réinvestissent la plante comme lieu de transmission, d’éducation radicale, à l’écoute de la mémoire des luttes.

Le film se fait manuel de l’investissement de ses rameaux. On reproduit les tissages et les consolidations pensés en collaboration avec la mangrove, on restaure les savoirs. Les tentacules alliés rappellent que la lutte était destinée à repousser l’occupation coloniale qui s’employait à arracher les racines des hommes et des femmes. Les branches de la mangrove sont puissantes et invitent au réseau, au collectif, à l’horizontalité. C’est la structure en rhizome de Gilles Deleuze et Felix Guattari, loin des racines uniques, verticales et hiérarchiques ; une structure résistante.

[Extrait du catalogue Cinéma du réel 2022]

L'avis du bibliothécaire

Jacques Puy, Bibliothèque publique d'information, Paris
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

La mangrove est le lieu où l’océan rencontre la terre, une zone composée d’eau salée et d’un labyrinthe de racines qui sont ici des racines de palétuviers. Dans cet espace liquide, solide, étrange et sensuel, les combattants anticoloniaux de Guinée et du Cap vert construisirent des écoles secrètes entre 1963 et 1974, années de luttes armées contre les occupants portugais. Une cinéaste expérimentale, Filipa César, et une historienne militante, Sónia Vaz Borges, se sont associées pour évoquer cette histoire. Elles nous emmènent dans cette nature sauvage et difficile d’accès à la suite de jeunes filles et jeunes gens d’aujourd’hui qui déchiffrent de vieux manuels éducatifs révolutionnaires et nous restituent l’esprit de ces années de résistance.

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