Les Chants de l'oubli
Songs of repression
En 1961, des Allemands recrutés par le pasteur Paul Schäfer, ex-sous-officier du Troisième Reich, fondent au Chili une communauté religieuse, la Colonia Dignidad. Après l'emprisonnement de leur chef spirituel, pour meurtre et abus sexuel, certains colons quitent les lieux, tandis que d’autres reprennent en main la communauté et créent la Villa Bavaria, destination touristique plébiscitée pour sa singularité et ses paysages enchanteurs.
Bien que le film s’ouvre sur une scène champêtre, couronnée par l’interprétation a cappella d’un chant traditionnel, ce n’est pas pour explorer le patrimoine folklorique allemand que le couple de réalisateurs s’est installé pendant plus de trois ans sur place. Documentaristes affirmés, tous deux ont connu d’assez près dans leur enfance la sinistre Colonia Dignidad: l’un fréquentait avec sa famille le restaurant de la colonie, l’autre entendait ses parents parler de la collaboration active des colons à la répression sanglante de la junte militaire chilienne. Leurs recherches communes sur l’évolution des sociétés et des individus soumis à de violents traumatismes psychologiques les ont ramenés dans ce lieu où 120 personnes vivent encore, aux prises avec un passé trouble.
Le film intègre des cartons explicatifs qui décrivent le fonctionnement de la communauté et les règles de vie inhumaines naguère imposées par le «dieu vivant» Paul Schäfer. Ainsi, muni de données précises, le spectateur peut-il faire connaissance avec huit membres ou ex-membres de la colonie, des personnes et des personnalités on ne peut plus dissemblables, mais qui portent toutes, bourreaux et victimes, le fardeau de la responsabilité des actes cruels perpétrés notamment sur les enfants. Le plus déroutant, sans doute, c'est l'absence de frontière entre le bien et le mal. Ceux qui ont souffert sont parfois restés près de leurs tortionnaires et mettent beaucoup d'énergie à soutenir la renaissance de la secte, tout en militant pour la transparence et la nécessité du repentir. Certains, toutefois, ont continué de vivre dans le passé et ne veulent en retenir que la grandeur, considérant comme pardonnés et donc classés les crimes auxquels ils ont participé au nom d’une idéologie liberticide, plus soucieuse de la cohésion du groupe que du respect des individus.