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Ici

Après les tentatives de colonisation de l’Amazonie péruvienne par des missions américaines, trois femmes "Isconahuas", sont forcées de quitter, avec les leurs, la forêt vierge pour toujours. Longtemps après, la plus âgée d'entre elles reconstitue, face aux deux autres, la mémoire de cet exil.

Cinéaste péruvien formé dans les universités françaises, Cayetano Espinosa apprend le métier en réalisant ses deux premiers courts métrages, Passeurs (2015) et Ici (2018). Pour ce film, il retourne dans son pays à la recherche de femmes Isconahuas, dernières représentantes d’un peuple originaire de la forêt amazonienne, autrefois déplacé et ayant perdu tout lien avec ce territoire originel, ayant aussi perdu sa langue en étant assimilé avec d’autres peuples indiens. Conforté par un de ses anciens professeurs, un linguiste, qui avait rencontré ces femmes et travaillé avec elles autour d’un projet de dictionnaire de la langue Isconahua, Espinosa part à la découverte de communautés qui vivent à l’est du Pérou, dans les méandres du fleuve Ucayali, une région de la «selva», la forêt péruvienne, qui couvre 60% du pays et abrite 10% de la population.

Sur place, le tournage se poursuit durant trois semaines, soumis aux aléas climatiques de la saison des pluies et à l'imaginaire du réalisateur, fasciné par la forêt, immense et sauvage, bruissant nuit et jour de mille sons qui rythment la vie des habitants. Le film se construit au jour le jour grâce à la participation active des femmes, tandis que les hommes restent à l’écart. Elles sont toujours photographiées d’assez loin et, tout en assistant à leurs occupations quotidiennes (lavage du linge, préparation des repas, repos dans le hamac), la caméra ne cherche jamais à se rapprocher de leur intimité, mais au contraire à créer un espace neutre entre le filmeur et ses personnages dans lequel le temps se dilate à l’envi. Le film tourne autour de la transmission de la mémoire, thème qui revient dans les conversations tandis que les femmes racontent leur histoire, un récit d’exil et de mort, une vision nostalgique de la vie à l’état naturel, loin de la ville et de la civilisation. Interrompant soudainement la narration, un poste de radio crache la propagande du candidat aux élections locales, leader du parti «Fuerza popular», qui promet à ses électeurs propreté et sécurité. Avec cet aparté plutôt inattendu, le film semble laisser entendre que le présent de ces femmes est à l'image de leur passé : à la dépossession, au déracinement, se sont ajoutés l'exploitation et l'abandon. Né du désir personnel d’un homme, lui-même exilé, «Ici» ne se présente pas comme un film engagé et pourtant… Quand l’Amazonie brûle, quand des populations et des cultures s’éteignent à jamais, l’acte de filmer s’apparente à un acte de résistance.

L'avis de la bibliothécaire

Audrey Montigny, Bibliothèque départementale de l'Ardèche, Privas
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

Oiseaux, musiques de la forêt tropicale. Un petit coin de vie aménagé où les femmes isconahuas, peuple indigène de l’Amazonie péruvienne, expliquent leur exil. Elle se racontent leurs souvenirs et rient, malgré les conditions de vie précaires qu’elles mènent. Elles se livrent, échangent, s’entraident au rythme des balancements des hamacs, des besoins des familles et des déambulations d’animaux domestiques. Avec beaucoup de pudeur, le réalisateur parvient à approcher les femmes de cette communauté. Cayetano Espinosa capte leur langage par la gestuelle, les mimiques, la promiscuité des corps. Cette proximité constitue une unité avec la nature, ici et maintenant. Ce court-métrage est d’une grande intensité entre le présent de la perte des territoires et de la culture isco, et la transmission de cette mémoire.

+ d'infos

Pour aller plus loin consulter l'entretien sur le film avec Cayetano Espinosa.

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