les yeux doc

La Main au-dessus du niveau du coeur

La Main au-dessus du niveau du cœur

À l’aube, les animaux pénètrent par centaines dans l’abattoir. La chaîne, une fois alimentée, imprime le rythme de travail. De la bête à la viande, du systématisme industriel aux produits conditionnés, comment se détermine notre consommation ? 

C'est dans l'abattoir de Droixhe, province de Liège (Belgique) que nous fait pénétrer Gaëlle Komàr. Là sont abattus à la chaîne bovins et porcins. La réalisatrice a choisi une approche réaliste pour transmettre sa vision de cet univers de sang et de précision gestuelle. À cet effet, elle a recours à des plans séquences sans commentaire où le bruit des machines de l'usine se mêle aux cris des bêtes. La caméra traque les gestes et capte l'expression, la concentration des visages. Les bêtes, elles, sont filmées dans le moment de leur mort, de leur dépeçage, de toutes les opérations de la chaîne de l'abattoir. On n'oubliera pas l'oeil d'un bovin figé dans la panique, les porcs que l'on presse, les bêtes entassées.

Le film est composé en trois mouvements. D'abord la progression vers l'abattage: quatre boeufs sont tués et mis au crochet puis vient le tour des porcs avec toute la déclinaison de la chaîne (eau, feu, entrailles, découpe,...). Ensuite, à la moitié du film et à ce seul moment, interviennent des prises de parole. Un intervenant lors d'un salon décrit les processus de robotisation de la chaîne, destinée à accompagner la baisse des coûts et la progressive disparition de l’homme, physiquement inadapté aux cadences imposées par la grande distribution. Enfin, c'est le retour à l'usine avec le conditionnement, et une chaîne parallèle où les bœufs sont, cette fois, égorgés. La caméra trouve la distance juste, parfois proche de ses sujets, parfois plus éloignée, montrant avec acuité sans verser dans l'horreur. Le rouge du sang des bêtes court tout au long de la narration devenant une véritable matière picturale, comme l’est aussi la mousse neigeuse du nettoyage intensif qui clôt la journée de travail. Le dispositif esthétique ainsi créé peut s'interpréter comme une mise à distance de l'effroi, voire de la répulsion que le thème du film ne peut manquer de susciter.

L'avis de la bibliothécaire

Charlène Ferrand
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

Ce film est percutant pour son approche esthétique et le propos qu’il cherche à véhiculer : l’industrialisation au détriment des hommes et des bêtes. Le film démontre la possibilité pour l’industrie agro-alimentaire de faire des bénéfices grâce à la mécanisation de toutes les tâches - que les travailleurs ne désirent plus faire, et ceci pour des raisons médicales ou tout simplement par manque de motivation pour un univers de travail difficilement supportable.

On observe dans ce documentaire le cynisme des dirigeants et le travail difficile et ingrat des ouvriers en abattoir (difficultés physiques et psychologiques). Le spectateur n’entend pas la parole des ouvriers mais il voit à chaque instant ce que les travailleurs voient quotidiennement et il peut ressentir une véritable empathie pour eux.

Montrer que l’on cherche à remplacer aujourd’hui les ouvriers, qui font des tâches que les machines n’étaient pas capables de faire jusqu’à maintenant, rend compte d’un profond désintérêt pour le sort des employés de ce secteur autant que pour les bêtes qu’ils abattent. En bref, on abat les bêtes comme on abat les hommes.