les yeux doc

strand

Strand sous le drap noir

«Dans Wall street, des hommes marchent que l’on croit voir bouger. C’est une photo de Strand. Dans Wall street, des hommes marchent, mais c’est comme s’il n’y avait pas de mouvement, le mouvement était insensible. C’est un film. La magie du regard de Strand éclate dans cette courte confrontation. Le documentaire de John Walker s’attachera pourtant à pister l'homme derrière le photographe. Ses errances amoureuses, de Rebecca ("Elle était mince et vive, dit une amie, Strand était gros et lent. Ils n’étaient pas faits pour vivre ensemble") à Virginia Stevens (une jeune actrice blonde) puis à Hazel (photographe alors, elle dit aujourd’hui:"je déteste la photo"). Il fut aussi cinéaste, "pour sortir de la chambre noire" explique Leo Hurwitz. Ce qui renforce l’idée d’un homme renfermé sur lui-même, bien peu sociable. De ses expériences cinématographiques, encore plus marquées que ses photos par une volonté de rendre compte de la réalité sociale, le producteur Fred Zinnemann est le témoin délicatement persifleur: "Un peu trop idéologique à mon goût, dit-il. Il aimait l’humanité comme une abstraction et non pas les humains en particulier." Accompagnant ses propos, de larges extraits du film "La Vague", sur lequel Fred Zinnemann fut l’assistant de Strand. C’est sur ce ton bien peu hagiographique que se décline le portrait très illustré (et c’est tant mieux) de Paul Strand. Qui se termine par ces très belles images, où le photographe à 74 ans part pour le Ghana et sort de ses cadrages très sophistiqués. Il se libère du trépied, parcourt le pays appareil à la main. Sa dernière photo est superbe et tendrement symbolique, intitulée "Un oiseau au bord de l’espace" ». (Annick Peigné-Giuly, extr. de Images documentaires n°18/19, 1994)