les yeux doc

Des spectres hantent l'Europe

Des spectres hantent l'Europe

La vie quotidienne des migrants (Syriens, Kurdes, Pakistanais, Afghans et autres) dans le camp improvisé de Idomeni, village grec situé à la frontière de la Macédoine et point de passage vers l'Europe.

On y arrive à pied après avoir parcouru des milliers de kms. La caméra capte cette transhumance désespérée à hauteur de jambes, des jambes constamment en mouvement, des pieds bien ou le plus souvent mal chaussés, des bardas hétéroclites, des sacs à dos, des baluchons. En attendant de traverser la frontière macédonienne, qui leur ouvrira les portes de l'Allemagne, hommes et femmes se pressent pour manger, pour boire du thé, pour consulter un médecin, à la recherche d'un espace vital qui se réduit comme peau de chagrin dans ce bidonville boueux et insalubre, arrivé depuis longtemps à saturation. Un mauvais jour de l'hiver 2016, l'Europe décide de fermer ses frontières une bonne fois pour toutes, mettant un terme à la "route des Balkans". Les "habitants" de Idomeni, désormais pris au piège de ce qui est devenu un cul-de-sac, décident à leur tour de bloquer les rails qui traversent la frontière. Un dialogue difficile s'engage, où l'épuisement, le désespoir et la colère de ceux qui sont refoulés se confrontent à la position ambiguë des autorités grecques, pressées par l'Union européenne de réguler l'afflux des réfugiés.

L'avis de la bibliothécaire

Marie-Francoise Feuillet, Médiathèque Intercommunale Jean Ferrat, Aubenas
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

Le parti-pris formel choisi, quasi expérimental, fait de ce film une oeuvre à part, sur un sujet déjà beaucoup traité par le cinéma documentaire. Des plans-séquences fixes se succèdent, sans commentaires. Composition rigoureuse du cadre, qualité esthétique des images et déploiement des différents plans sonores concourent à une réelle immersion sensorielle du spectateur. Les premières secondes, parfois énigmatiques mettent l’attention en alerte. Le temps long offre le loisir d’investir les moindres recoins de l’image, de laisser la réflexion, l’imagination et l’émotion s’épanouir. Dans ce que capte la caméra, souvent posée à hauteur d’enfant, il se passe toujours quelque chose de signifiant, d’évocateur. Et quand on pourrait finir par se lasser du dispositif, la mise en scène sait évoluer subtilement. Ce film est loin d’être un simple exercice de style reposant sur la dualité mobilité/immobilité. Il documente, expose de façon sensible les enjeux de la crise migratoire actuelle, dénonce avec force les bégaiements de l’Histoire.

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