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At(h)ome

Au détour d'un travail de réflexion sur le désert et l'imaginaire occidental, Bruno Hadjih, photographe algérien, explore avec son appareil une zone du Hoggar qui s'avère avoir servi aux essais nucléaires français de 1962 à 1967, après les accords d'Évian.

Son investigation le conduit sur les lieux de l'explosion de la bombe Béryl qui se produisit à In Ekker (Sahara algérien), à environ 150 kms au nord de Tamanrasset. Ce second essai en galerie souterraine provoqua le 1er mai 1962 le plus grave accident nucléaire du Sahara. Le film d'Elisabeth Leuvrey, porté par les images arrachées au silence de Bruno Hadjih, s'attache non seulement à montrer les traces dramatiques laissées par l'explosion dans le site encore très radioactif, mais aussi à donner la parole aux populations sacrifiées, aux victimes, habitants du village agricole de Mertoutek situé à 60 kms de là, qui ignoraient tout de l'extrême dangerosité de l'explosion, de ses conséquences et de ses retombées. De même que la terre et l'eau "sont tombées malades", des villageois sont morts sans que les autres comprennent "d'où venait cette mort". Des enfants sont nés avec des handicaps, là aussi inexpliqués.

Les Algériens ne savent rien de ce village abandonné qui crie sa souffrance mais que personne n'entend. Quittant le Hoggar pour les faubourgs d'Alger, le film continue son enquête auprès d'ex-internés des camps de sûreté. Dans ces camps irradiés, notamment celui du site contaminé d'Aïn M'Guel, lieu de l'accident de Béryl, furent détenus 24.000 citoyens algériens de 1992 à 1995. La guerre civile algérienne, la "décennie noire" (1991-2002) est convoquée selon les mêmes modalités à savoir des photographies comme animées de l'intérieur par la voix off des témoignages. Ainsi "At(h)ome" après avoir dénoncé la responsabilité de l'État français dans l'accident de Béryl met-il en lumière celle de l'État algérien dans son histoire plus contemporaine.

L'avis du bibliothécaire

Guillaume Duchêne
Membre de la commission nationale coordonnée par Images en bibliothèques

Voilà un film important et magnifique sur un sujet méconnu. La réalisatrice s’appuie essentiellement sur la parole du photographe d’abord, puis des rescapés habitant les villages voisins. Il faut les appeler rescapés car nombre d’entre eux sont morts suite à ces essais nucléaires, dont la France ne sort pas grandie. Le film rend également bien compte du fait que ces sites sont irradiés pour des milliers d’années. Le plus terrible étant que des vestiges irradiés ont été ramenés par les Algériens envoyés dans ces camps et déplacés sur le territoire. Un film nécessaire à faire connaître.

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